Introduction à « Hayek sur l’État et l’évolution sociale »

Hayek est encore aujourd’hui une figure emblématique du libéralisme, reflet de son statut parmi les penseurs et théoriciens réputés majeurs du libéralisme au XXe siècle. Comme illustration, The Road to Serfdom (La Route de la servitude), The Constitution of Liberty (La constitution de la liberté), Law, Legislation and Liberty (Droit, législation et liberté) constituent ses œuvres les plus célèbres.

Prix Nobel 1974

Issu de l’école autrichienne, il en évoluera, mais demeure un de ses auteurs importants. Au point que ses ouvrages comme économiste lui permettront de recevoir le prix Nobel d’économie en 1974 pour ses travaux sur la théorie de la monnaie, les fluctuations économiques, ainsi que pour son analyse de l’interdépendance des phénomènes économiques, sociaux et institutionnels. Sur l’axe politique, aujourd’hui encore, de nombreuses personnes « de droite » se réclament de sa pensée, quand à l’inverse beaucoup à gauche le honnissent pour être le symbole libéral. Et suite à ces apports, on peut oser avancer que sa célébrité n’est probablement pas prête de s’éteindre.

Hayek on the Socialist Roots of Nazism – Byron Chiado
F. von Hayek et L. von Mises.

Pourtant, si l’importance de l’influence de Hayek ne peut être contestée, ses travaux et ses positions ne sont pas dénués de tout reproche. Selon l’analyse qu’en fait Hans-Hermann Hoppe dans le texte publié ici, il constitue un cas à part chez les libéraux, ne différant pas autant qu’on l’imagine d’un social-démocrate sur le plan politique ou social, comme sur des points centraux de théorie, tels le rôle du marché ou celui d’un gouvernement, pris au sens large d’une administration étatique.

Facteurs de succès

L’intuition, voire le constat qui s’impose, c’est que ces éléments expliquent en grande partie le succès de Hayek chez le large public qui connaît son nom. On pense au public auquel a priori il s’adressait directement, tels les libéraux de tendance conservatrice. Mais il en toucha aussi d’autres, qui ne semblent pourtant pas sa cible à première vue, comme des personnes qu’on dira plutôt centristes.

Dans le premier cas, cela peut s’expliquer par son combat contre le socialisme. Pour l’autre, ce sont ses différences majeures avec des auteurs libéraux classiques qui semblent la cause. Prenons Mises, dont Hayek fut l’élève en économie : bien que les deux hommes furent ainsi très proches, ils diffèrent pourtant énormément dans leurs thèses et dans leurs méthodes, et Hoppe revient d’ailleurs sur cet aspect. Mises dénonçait l’intervention des gouvernements dans l’économie, mais Hayek ne voit pas toujours cette intervention comme un problème. Mises était un fervent défenseur du marché libre, là où Hayek n’était pas systématiquement contre tout interventionnisme.

D’autre part, si l’on étudie l’analyse faite par Rothbard dans The Ethics of Liberty (L’Éthique de la Liberté), mais également dans d’autres textes moins connus, où il met en évidence la vision qu’a Hayek de la coercition, on réalise combien elle diffère de la tradition libérale, basée sur le respect du droit de propriété individuelle.

Glissement

Que ce soit en France comme dans bien d’autres pays occidentaux, il n’est pas exagéré de constater que la droite (les droites et leurs partis dans les différents pays, chacune à sa manière bien sûr) a lentement évolué pour s’éloigner de ses positions et principes traditionnels. Ainsi au XIXe siècle et pour une bonne première partie du XXe siècle, la protection de la propriété privée restait un point d’ancrage fort de toute droite authentique — on n’assimilera bien sûr pas la période nazie et fasciste à un phénomène de droite. Depuis, et spécialement de nos jours, l’interventionnisme est devenu la norme, sous quelque prétexte que ce soit, et il est désormais coutumier de voir des cris pour une fiscalité ou une contrainte individuelle accrues venir de figures « à droite » sous couvert de climat soi-disant perturbé, d’un « besoin » de protectionnisme, ou de la dernière phobie à la mode.

Pour un électeur de « droite » sincère baignant dans ce brouillon d’inculture, la lecture d’un Hayek conciliant avec pouvoir et État ne peut que contribuer à le maintenir dans cette gangue intellectuelle. Il ne manquera pas de se référer à cet auteur capital de la pensée libérale moderne, mais rien ou si peu de ses lectures ne viendra fortement à l’encontre des discours politiques qui l’environnent. Le politicien ne sera pas contesté. L’interventionnisme ne sera pas contesté. Les institutions ne seront pas contestées. Le droit positif ne sera pas contesté. La réalité de « l’état de droit » ne le sera pas plus. Comment alors le libéral sincère pourrait-il être amené à exiger de la liberté son grand retour ?

Critiquer Hayek

Ce constat est, selon nous, une des motivations de Hoppe à développer sa critique de Hayek. C’est du moins la nôtre à traduire et publier ce texte. Il nous semble en effet important de contribuer à lutter contre les idées social-démocrates hélas largement promues et vantées par Hayek, et de revenir aux fondamentaux théoriques du libéralisme. Car sans large diffusion et appropriation par tous de ces fondamentaux, la conscience populaire de notre non-liberté ne peut que s’amoindrir, tout comme l’appétit pour la liberté véritable. Le jeu du pouvoir consiste à nous faire croire que nous sommes bien dans un régime libre et libéral, de manière à nous endormir et à ne pas venir contester son joug.

Property, Freedom and Society: Jeff Tucker Interviews Hans-Hermann Hoppe
Hans-Hermann Hoppe.

Il nous semble de plus intéressant d’observer la manière de travailler, la grande rigueur qu’emploie Hoppe en général et qui le caractérise (certes, pas lui seul) à bien des égards. Sa stratégie consiste à se servir de cette rigueur pour passer les travaux de Hayek au crible fin. Car il reproche précisément à Hayek, pourtant réputé Autrichien, de ne pas adopter leur rigueur commune. Il considère que ce qui caractérise un économiste Autrichien tient à la méthode de travail et à la rigueur toute germanique dans son application. Il va donc respecter cette exigence dans son analyse des position hayékiennes.

Et en effet, à travers ses œuvres, comme Mises et Rothbard, Hoppe emploie toujours la praxéologie comme base pour construire, étayer ses raisonnements et analyser des sujets complexes. Par les seuls effets de la logique et de la déduction, il explique un grand nombre de phénomènes à partir de théories simples et facilement compréhensibles. Il est connu pour avoir ainsi analysé et fortement critiqué la démocratie comme régime politique : il fait de même dans ce texte s’agissant de Hayek.

Vous avez dit simpliste ?

Cependant, certaines personnes doutent qu’une apparente simplicité méthodologique puisse servir d’explication incontestable à des phénomènes a priori complexes. Ainsi rencontre-t-on fréquemment chez ces critiques la confusion entre « simplicité » et « simpliste », et souvent seul cet aspect est retenu pour rejeter Hans-Hermann Hoppe, sans plus analyser le fond de ses arguments. Hoppe dirait que pour un bon nombre de ses détracteurs, c’est une manière de rester eux-mêmes dans le flou et le non-rationnel comme défense, car les idées qu’ils portent ne résultent pas, ni ne peuvent résister, à une démarche systématique et scientifique. Quoi qu’il en soit, laissons le lecteur constater si le terme « simpliste » est une critique qui peut être faite envers le texte qui est présenté plus bas.

Mais quittons la méthode et revenons à notre premier propos. Ainsi, nous voyons pour notre part dans ce texte une double opportunité. La première consiste justement à témoigner de la méthode de travail de Hoppe et de la lignée dite Autrichienne pour contribuer à souligner sa rigueur et de là la validité générale de ses positions, théories et thèses défendues, même si souvent elles dérangent. La seconde est plus stratégique et tient selon nous à la perspective politique large que la critique de Hayek porte quant au potentiel réel de la société libérale. En effet, quiconque, adepte de Hayek, saura objectivement entendre, recevoir et analyser sa critique trouvera devant lui une vision libérale fondamentalement nouvelle, plus vaste de possibilités, et nous le pensons, bien plus enrichissante.

Ainsi, Hans-Hermann Hoppe nous livre ici des analyses du phénomène Hayek sur le plan social et politique, et nous démontre leur échec total. Il est à espérer que les aficionados de Hayek ne partent pas d’un mauvais a priori sur ce livre en ignorant cette critique, sévère mais néanmoins très honnête.

Espérons que la simple force de la logique et de la raison les persuadera.

Bonne lecture à tous !